Chapitre 3

Le Temple

avec
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Poire
John Mc Miaou
Frihet

Poire est narrateur
Quatre jours sans se dorer les moustaches à l’aise au soleil ça peut paraître long. Mais ça fait aussi quatre jours que je m’affûte, que je comprends mieux mon instinct. Et puis… chasser à la volée sans avoir à se soucier des limites imposées par son territoire, c’est pas mal. John est impressionnant. Quelle que soit la situation, il a le bon réflexe, la bonne réaction. Toujours à l’affût, toujours prêt mais jamais drôle. J’ai pourtant essayé plusieurs fois de le dérouiller, mais rien n’y fait. Je l’aurai à l’usure. Il croit que je ne l’entends pas, mais il est en boucle sur un foutu oiseau. Je me dis qu’il a la mécanique qui se détraque. J’ai jamais vu d’oiseau ! Je me demande si la rouille n’est pas allée un peu trop loin.
Mais c’était lui ou personne. Je me suis laissé porter et pour le moment, pas de regret.


Il me surprend le petit père. Il est doué, malin et rapide. Mais encore un peu lourdingue dans ses déplacements. C’était comme s’il s’était résigné à ce que les choses s’imposent sans avoir d’autre choix que de les accepter. Accepter… oui pourquoi pas, quand on est seul et qu’on ne dépend que de nous ! Le monde continue de tourner, tout le monde ici se bat pour survivre. Quand la recette ne fonctionne pas, on change les ingrédients. Il n’y avait plus rien à manger sur notre territoire. Tôt ou tard on se serait retrouvés à court, ou on aurait fini par se faire évincer. Ici, comme tout le monde est à croc, ça aurait mal fini.
Mais c’était lui ou personne. Je me suis laissé porter et pour le moment aucun regret !

Tandis que nous avançons sur ce large parterre d’asphalte, les maisons ont cédé leurs places à un horizon incroyablement vide. Sur le chemin nous apercevons des rangées entières de colosses d’aciers, ces mêmes colosses qu’on trouvait de part et d’autres de la chaussée à la jonction des territoires. Je ne sais pas si je l’ai rêvé ou si c’est réellement arrivé, mais j’ai l’impression d’en avoir déjà vu bouger. Et avec quel vacarme ! Je ne sais pas de quoi ces bêtes se nourrissent mais ça doit être difficile de faire le plein quand on est aussi bruyant.
Sorti de nulle part, l’oiseau est juste là, devant moi, trônant fièrement sur un géant d’acier bien plus imposant que les autres.
— Ne bouge plus !
— Alors tu disais vrai ! Il est magnifique ! me sort-il d’un air bipède.
— J’irai pas jusque-là. Il a l’air appétissant mais j’en ai déjà vu des plus beaux.
— Et pourquoi vouloir l’attraper ?
— Ça fait au moins six ans que je suis dans le coin, six ans qu’il est là, toujours collé à mes basques. Six ans, que peu importe où je me rends, il est là, à me regarder et à me narguer. J’ai besoin de personne et certainement pas d’un oiseau à mes côtés. Je suis né seul, je me suis fait seul et je finirai seul. »
— T’as décidé de finir seul, mais en attendant je suis là !
— Merci de me le rappeler...Et tu comptes m’aider à l’attraper pour autant ?


Cinglant. Mais pas de place à la discute, John se lance. Il a attendu que le piaf tourne la tête, c’est pour ça qu’il ne me laisse pas le temps de répondre. Allez ! je le suis et cette fois je le tiens. John ondule avec ses sauts à travers les obstacles, c’est fluide. On sent qu’il gagne du terrain, la patte est sûre à mille pour cent. Et ça, sans lâcher l’oiseau du regard. Lui, il vole. Mais il fatigue. Pas un gros voyageur visiblement. Alors que John repasse au sol pour la jouer discrètement, l’oiseau se pose. C’est bien vu, le gros colosse lui cache la vue. John est devenu invisible.


Je bondis sur le museau du petit colosse afin de gagner de la hauteur et de pouvoir accéder au museau du plus gros, celui sur lequel l’oiseau trône. Alors que je prends l’ultime appui, je sors mes griffes et envisage déjà les endroits où celles-ci lui feront un beau collier. Cette fois-ci, c’est la bonne. Je suis en l’air, tout se passe comme prévu, mais j’entends un bruit parasite qui capte mon attention. Je tourne la tête pour regarder et je réalise immédiatement la connerie que je viens de faire. Je m’écrase contre la vitre du géant de métal dans un vacarme assourdissant.


Non ! Impossible de me retenir, je ris aux éclats. Je sais qu’il sera vexé, mais quelle action ! C’est rare. Rare qu’il se plante de la sorte. En même temps, il est pas net cet oiseau. Il a quelque chose. Dans son air, sa posture, je ne sais pas. On a l’impression qu’il savait que John glisserait. Sans rien dire, en boitillant à peine, John suit l’oiseau en direction de ce gros bâtiment bleu.
Bleu. J’aime bien le bleu.


Tout est allé trop vite, je fatigue, j’ai chaud, mais j’ai encore une chance. Pas le temps d’attendre Poire ! Qu’il se bouge !


Le paradis, miiiiiiahahahou, j’adore mon territoire. Il est vaste, complexe. Idéal pour la chasse. Seul un petit trou permet d’entrer ou de sortir vers le monde dangereux.
C’est par ce trou que je suis entrée avec ma mère et que je l’ai vu partir pour la dernière fois. C’est aussi par ici que ma nourriture vient à moi. Malheureusement, c'est aussi par là qu’ils entrent : les autres...
Jusqu’à présent, je ne suis tombée que sur des chats amincis par la faim, des faibles du dehors, des ombres pathétiques. Les plus malins ont fui en sentant que le territoire était occupé. D'autre, j'imagine, regrettent le jour où se retrouvant face à mes yeux brillants et mes griffes affûtées, n'ont pu que prendre leurs pattes à leur cou tout en récoltant au passage de nouvelles cicatrices. Mais il arrive que, de temps en temps, certains mâles ridiculement fiers, malgré leur évidente infériorité, tentent de me prendre MON merveilleux territoire. J’ai dû tristement mettre un terme à leur misérable vie. J'ai eu de la chance jusqu’à présent, aucun ne s'est révélé être un véritable danger. Car si un jour il entre ici un monstre que je ne peux maîtriser, alors je devrai fuir et ressortir par le petit trou.
Je n'aime guère tuer mes congénères, mais j'adore chasser, ça oui. Miiihahahouu ! Je suis faite pour ça, j'ai les plus belles griffes du monde. Affûtées, brillantes et incroyablement efficaces pour tuer. C'est de l'entretien c'est sûr, des heures à détruire les nombreuses “boites moelleuses”, les beaux dessins de murs en papier. Mais rien ne me satisfait plus que de mettre en lambeaux les tissus suspendus ! Miiiihahahaou !! Je suis la Reine de ces lieux. Je connais les moindres recoins de ce labyrinthe insensé et si je le souhaite, je peux avancer ici sans jamais mettre une patte au sol. Seul un oiseau pourrait m’échapper. Et du perchoir le plus haut de mon temple, je vois tout. D’ailleurs, c'est parti. Voilà maintenant quelques minutes que j'ai repéré l'intrus : une salamandre inconsciente venue se reposer à l'ombre de ma demeure. Elle ne sait pas encore qu'elle vient de devenir ma proie. Je me décide à l'approcher doucement, elle est au sol et je la domine de plusieurs étagères. J'avance à pattes de velours en évitant de faire tomber quelque chose susceptible de me faire repérer.

Aplatie au maximum, dans l'ombre d'une fausse plante, elle ne m'a pas vu la dépasser et me placer en embuscade. Désormais, la proie s’approche de moi, s’en est fini d’elle. Je bondis sur elle alors que dans un ultime mouvement de désespoir elle tente une embardée. Mais toutes griffes dehors, mon coup précis et puissant la ramène tout droit en direction du sol. Gagné ! Miiiiahahaou ! Me voici triomphante, dominant l'animal qui cesse petit à petit de s'agiter, son sang coulant le long de mes griffes. Je ne lui ai laissé aucune chance. Triste destin pour cette proie qui cherchait juste un endroit de repos. La voici sur le sol, se reposant pour l'éternité.
Je n'ai même pas très faim, les salamandres ont généralement un goût atroce. Je croque un morceau, après l'avoir fait passer de gauche à droite entre mes pattes, lui donnant l'air d'un pantin désarticulé. Cette victoire a le goût de ce lézard, amère. J'entends les oiseaux dehors, au travers du petit trou. Je me souviens de moins en moins de l'extérieur, je suis arrivée ici je n'étais qu'un chaton. Mais très vite, j'ai adoré l'endroit. Ma mère m'a tout appris : la chasse, l’affûtage des griffes, le marquage de territoire, tout ! Et puis un jour elle est partie. Perché à l’entrée du Temple, un oiseau flamboyant l’attendait. Elle m’a dit de ne pas bouger, s’est avancée, il s’est envolé, elle l’a suivi.


C’est sombre à l’intérieur. Un petit trou, unique moyen pour entrer dans le bâtiment bleu, laisse passer un trait de soleil à travers la façade. Mais après être rentré, ma vue s’adapte vite et je vois de l’espace, beaucoup d’espace. On est haut aussi, je distingue mal le sol. John est devant moi, on avance discrètement. Un enchaînement de métal plus tard, il se met en idée de traverser ce câble. — — T’es sûr ? Je le sens pas.
— Allez ma biche, n’ai pas peur.
Il a le don pour me les froisser, je le sens pas j’ai dit ! Trop tard il est déjà de l’autre côté et continue d'avancer.


Un bruit de glissement me fait dire que j’ai peut être surestimé la courbe de progression de Poire. Je me retourne, je ne le vois plus derrière moi. À tout les coups ce nigot a loupé son saut ! Bon...je vais essayer de retourner sur mes pas, la grille est suffisemment haute pour qu’il lui soit arrivé quelque chose...


J’avais bien dit que je le sentais pas ! Je chute. Et maintenant le plus important : l’atterrissage.

Trois, deux un.

Du mou ! Je me suis étalé du ciel, sur du mou ! J’en avais croisé quelques-uns, mais jamais d’aussi agréables. Une texture épaisse, incroyable, je ronronne immédiatement.


Mais qu’est ce que j’ai mérité pour me traîner un boulet pareil. Règle n°1 : “fais toi discret !” Et voila que je l’entends ronronner ! La bonne nouvelle, c’est qu’il n’a rien. La mauvaise ? c’est que s’il y’a qui que ce soit ici, il saura qu’on est là, bien avant même qu’on s’en apperçoive.


Évidemment que je l’ai vu descendre ce gros lourdingue, eh mais attend ? C’est sur ma sainte boîte qu’il se prélasse? Mais pour qui il se prend? Et il sort d’où cet abruti ? Cette boîte c’est la seule que je n’ai pas détruite, je la garde pour mes vieux jours, c’est la plus belle, la plus confortable et la seule sans odeur. Mmmh... ça explique pourquoi il ne m’a pas encore repérée, enfin, l’endroit entier doit empester ma présence. Peut-être que son odorat est défaillant , ou que l’intrus est trop occupé à détruire Ma propriété ! Il ne paie rien pour attendre, j’aimerais le réduire en bouillie, mais ce n’est pas ma méthode. Prudence, on observe et on avise. Il est volumineux et je ne voudrais pas me retrouver en difficulté. J’ai l’intuition que quelque chose m’échappe... Je reste à distance suffisante pour ne pas être prise de court mais visible. À sa réaction je saurais s’il est dangereux ou juste débile. Regarde-moi, allez...re-gar-de moi


Je vois Poire... Il est là insouciant pour pas dire inconscient ! J’en viens à me demander s’il me dit qu’il comprend, juste pour que je lui fiche la paix. J’entends un bruit qui vient d’en face. Poire n’a même pas l’air d’avoir remarqué. Est-ce qu’il retiendra plus s’il se retrouve devant les problèmes qu’il a lui-même provoqué ? J’suis sûr que non. Je reste en position, voyons comment les choses se trament, je vais pas passer chacune de mes journées à lui sauver le popotin !


Qu’est-ce que c’est bon ! Toute cette matière, tout ce mou ! Je suis sur un nuage, j’oublie presque que j’ai fais le grand saut. Où est John d’ailleurs ? Il faut absolument qu’il voit ça. Je miaule un coup pour l’appeler. Et j’entends immédiatement gronder derrière moi. “John ! Tu dois absolument te couché la dess...”


— Salut, je te dérange pas ? cet idiot lève en fin la tête. Tu as deux minutes pour déguerpir.
Affolé, le voilà qui cherche de l’aide du regard.


Encore ! Décidément tout le monde m’en veut de ma présence.
— Tu as gagné !


— Hein ?
Mais qu'est ce que c'est que ce chat ? Quelque chose ne va pas, j’ai les vibrisses qui s’agitent. D'habitude tout est clair, qui vient sur mon territoire, termine en charpie. Il est marrant celui-là, j’ai rien gagné du tout ! J’ai même pas eu à lui courir après. Je suis à deux griffes de m’en faire un tapis.