Chapitre 1

La course

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Poire

Et dire que je dois encore me lever, courir après mon repas, porter le coup fatal et déguster...Mais je déguste, là aussi. Le soleil est au zénith, une légère brise s'est installée, c’est le pied.

Il faut dire que les derniers jours, c'était pas ça. Un tout petit moineau à peine sorti du nid et quelques rats mal en point, ça ne rend pas un chat en forme. Courir, courir, toujours courir. Les proies ne peuvent-elles pas s’offrir à moi ? Non, la ville m'a bien appris qu'il fallait se battre pour ses besoins. Et plus que jamais, j'ai besoin de manger maintenant.

Il est temps, la faim est trop grande. Je fais glisser une dernière fois ma joue contre le béton chaud et descends de la cheminée.
Mes frères et sœurs avaient toujours trouvé ça drôle, chasser. Pour eux, tuer était un jeu. Un jeu sans règles, ça ne m'a jamais amusé.

Tiens, cette gouttière n'en a plus pour longtemps, il va falloir que je trouve un nouveau spot pour me dorer la pilule, c’est le seul accès. Cette ville détruite est un ramassis de labyrinthes désorganisés où les cachettes sont infinies. Trouver un endroit où se cacher, c'est le nerf de la guerre.

Malgré les belles histoires que me racontait ma mère, la réalité reprend vite le dessus et je vis dans une guerre permanente. Chacun protège son territoire et ce serait une vraie boucherie s’il me venait l’idée de me balader trop loin.

Mon territoire ? Il a toujours été le même depuis ma naissance. À quoi bon chercher à s'étendre. J'ai même parfois laissé quelques uns prendre leurs aises, je ne suis pas du genre à pinailler pour un coin de litière. Les autres ont tendance à être le total opposé, accrochés farouchement à défendre un espace qui n'a aucun sens au final. Déterminés à honnir quiconque oserait fouler de la patte le mauvais trottoir.

Ca bouge !

Mes sens sont en éveil, je suis surpris à chaque fois. D'où est-ce que ça peut venir ? Là aussi je laisse couler, temps que cela m'aide à courir le moins possible. Mon instinct se confirme, je m'élance sans hésitation.
Un vieux rat visiblement. J’espère juste pas trop vieux, sinon ils ont un goût de poussière. Il renverse tout sur son passage pour entamer sa fuite perdue d'avance. Mes pattes sont rouillées et rongées par la flemme, mais je les rappelle à l'ordre.

Au bout de quelques mètres dans la ruelle, il tente une embardée pour accéder à un sous-sol. Sans succès, je gagne un peu de terrain. Il est vif, sûrement plein de bonnes vitamines. J'occupe l’espace sur sa droite pour le diriger un peu. Il ne se laisse pas impressionner, il bifurque quand même. Les rues défilent et je le tiens serré pour ne pas qu'il se faufile. Paniqué il en oublie les recoins.

Bien.

Il tente un tuyau qui traîne. Trop petit pour moi, je tourne en rond autour de lui et ronronne d’impatience. Quelques miaulements et griffures pour servir l'ambiance, en plein dans le mille. Il ne résiste pas à la pression et sort de sa cachette pour courir de plus belle.
Mince ! Pensant avoir gagné, je ne l'ai pas joué stratège. Il se dirige vers l'arbre de non retour. Passé ce point, je ne suis plus chez moi. La perspective même de devoir recommencer ma chasse me ramollit. Tant pis, je suis si proche, personne ne me verra. Je dois juste faire vite. Très vite.

S'il tourne dans cette ruelle, il sera acculé. Le mur est haut et les sorties inexistantes.

Il tourne !

Plus qu'une foulée.

Avec ma fierté féline qui crève le plafond, je plante enfin mes crocs dans le cou de la bestiole. J'ai bien fait, il a bon goût. Enfin.
Allez, je dois filer maintenant. Bien que mon repas soit lourd, je devrais pouvoir rejoindre mon fief.

“Le dîner est servi.”

Une voix rocailleuse s'élève derrière moi. En un instant, je me retrouve dans la peau du rat que je tiens dans la gueule.

Le mur est haut et les sorties sont inexistantes...