Chapitre 4

Le Grondement

avec
Avatar de Poire
Poire
John Mc Miaou
Frihet

Poire est narrateur
— Je ne veux pas me battre.
— Qu’est ce que tu fais là ?
— Je suis tombé du plafond, je me suis retrouvé ici en un instant.
Je ne peux pas tout lui dire, si elle apprend que John est ici elle pourrait m’achever avant qu’il arrive.
— Quoi qu’il en soit, ce canapé est très mou. C’est sympa ici !
Je me mets à ronronner en pétrissant pour détourner son attention de John.
— Partez de chez moi, toi et celui que je peux sentir d’ici.
Comment peut-elle savoir ? Moi même je n’ai pas vu John depuis ma chute.
— De qui parles tu ? je suis arrivé seul ici.


Son stress est puant. On le ressent à 2km. Il ne tient pas en place et regarde partout. ll n’est pas seul j’en suis sûre mais il ne sait pas où est son acolyte.
— Montre toi, je sais que tu es là. Sinon je mange ton copain.
Une ombre se profile derrière le paravent, j’avais correctement anticipé d’où il viendrait. J’aurais sûrement fait pareil.
— Du calme, on ne te veut aucun mal.
Un chat roux beaucoup plus assuré s’avance vers moi, ses nombreuses cicatrices me font douter de sa sympathie. Je me tourne vers l’autre, le fusille du regard, son ronronnement s’arrête instantanément.
— J’avais trop peur, j’ai menti... On ne cherche qu’un peu à manger.
— On a quitté notre territoire. Nous sommes des chats qui voyageons. On s’est arrêtés ici pensant qu’il n’y avait personne.
— Eh bien il y'a quelqu’un et la nourriture ici lui appartient. Toi ! Descend de ma boite moelleuse ! Et toi reste où tu es !
J’ai un vrai problème, je ne pourrai pas les faire sortir de force. À deux contre un et sans effet de surprise, c’est la défaite assurée. Il va falloir la jouer fine.
— Recommençons, moi c’est Poire, je suis gros, vachement gentil. Et j’aime le mou ! Et le bleu ! On traîne ensemble avec John depuis quelques temps, je sais qu’il peut faire peur mais il m’a sauvé plusieurs fois les moustaches ! Il a la couleur de son tempérament, un vrai caramel. Dur d’abord puis mou dedans.
Il va falloir que je garde l’œil ouvert. Au moindre faux pas, je descends le caramel en premier.
— Tu n’es pas une adversaire, nous ne prendrions pas le temps de discuter...
— Une nuit pas plus, et pas de chasse sans mon autorisation sur mon territoire. Je prendrai la plus grosse part, et vous dormirez là où je vous le dirai."


Poire la suit sans hésiter, mais je préfère garder mes distances. Je vois bien qu’elle ne nous fait pas confiance. Est-ce-qu’elle prévoit de nous tuer dans notre sommeil ? Quoi qu’il en soit restons prudents.

— Depuis quand es-tu ici ?
— Depuis presque toujours.
Poire multiplie les questions et j’en profite pour prendre un peu plus de distance pour repérer les lieux.
Des meubles, des meubles partout... Ils sont comme dans les habitations, mais là, ils sont sans vie et s’étendent à perte de vue. Pourquoi en fabriquer autant ? Il n’y a pas assez de chats pour tous les griffer.
Leur voix s’éloignent, je ne dois pas laisser Poire seul trop longtemps.
— ... et c’est comme ça que je me suis retrouvée seule ici.
— Tu sais tu pourrais nous accompagner. D’après John, cet endroit est parfait pour les chats.
— Je ne vous accompagnerai pas, je suis très bien ici. Cet endroit, dont tu m’as parlé, tu n’es pas le premier à l’évoquer. Ceux qui ont eu l’audace de passer par ici suivaient cette route. Ils appelaient ça "LEUZO".
— Et tu sais comment y aller ?
— Non. Je ne m’aventure pas en dehors de mon Temple, c’est dangereux. Je n’en ai jamais vu revenir de la bas. Peut-être qu’ils y sont bien.
— C’est sûrement pour ça !


Il est si naïf... mais je l’aime bien. Il n’est clairement pas une menace, et a l’air d’avoir le cœur sur la patte. John, en revanche, il a pas l’air net, il est chez moi et il agit comme si il pouvait faire ce qu’il veut. D’ailleurs, où est-il ?
Un bruit. ZBREYM
Puis un autre. KRRRKRRKRKRKR
Un fracas assourdissant s’élève du fond de mon royaume. Je vois au loin un panneau tomber, et un nuage de poussière se lever du sol. C’est John, en pleine frénésie, qui renverse tout sur son passage. Et plus haut, je n’en crois pas mes yeux...


Je savais qu’il était toujours à l’intérieur. Il n’a qu’une seule sortie. Cet oiseau est à moi.


Alors là, certainement pas ! Cet oiseau est sacré !
Je me lance à sa poursuite, espérant que l’agilité de l’oiseau me laisse un peu de temps pour rattraper John avant qu’il ne l’éventre. Je saute de boites en étagères, et reprends rapidement du terrain.


Ils jouent ? Finalement ils s’entendent bien. Je vais les suivre, il m’expliqueront les règles en route. Décidément les relations entre chats me dépassent.


— Laisse cet oiseau tranquille !
À peine je réalise que Frihet me poursuit, que ses griffes viennent se planter dans ma croupe. Nous roulons en renversant absolument tout sur notre passage. Je me débat pour qu’elle me lâche, mais son étreinte est beaucoup trop forte, elle me fait miauler de douleur.
— Ça n’a rien à voir avec toi ! je lui dis en la repoussant de mes pattes arrières.
— Bien sûr que si ! Tu es trop borné pour comprendre !
Elle prend son élan et me percute la tête en avant. Je suis projeté en arrière sous la puissance du choc. Mon dos heurte la paroi et dans le même mouvement, avec une rage totale, Frihet me plaque contre le mur.
— Cet oiseau est sacré pour ma mère, jamais je ne te laisserai lui faire du mal !
— Je ne te laisserai pas te mettre sur mon chemin, même si tu penses devoir protéger cet oiseau.
— Je vais te tuer !
Sa rage vient heurter violemment mon museau.


J’arrive à peine et j’entends Frihet hurler sur John complètement maîtrisé. Son rugissement semble sorti d’une autre espèce, plus puissante et plus grande que les chats. Sa colère est saisissante, mais plus impressionnant encore, le sol se met soudainement à trembler sous mes coussinets. D’abord légères, les secousses s’intensifient à chaque seconde. Mon instinct me somme de déguerpir, la pression est insupportable. Je dois absolument sauver John de cette furie.


Je n’ai jamais été aussi enragée, j’étais prête à le couper en deux. Mais sans savoir pourquoi, mon instinct remplace instantanément toute rage par de la peur. Le sol vibre sous mes pattes, les murs commencent à grincer.


Frihet relâche doucement son emprise et détourne le regard vers le vide. C’est elle qui fait trembler le sol ? Je n’ai jamais vu un chat faire ça. Non, ce doit être autre chose. Je vois Poire redescendre à toute vitesse vers nous. Il fonce sur Frihet. Mais avant de l’atteindre, dans un bruit assourdissant, un immense morceau de métal s’effondre sur le sol. Manquant ainsi d’aplatir Poire. L’élan coupé, je le distingue au travers de la fumée, tétanisé.
— Frihet ! L’endroit tombe en morceaux ! Lâche moi !


— Mais que ce passe-t-il ?! C’est un morceaux du plafond ?
Le sol n’en finit pas de trembler et ça monte en puissance. Une fois remis de mon absence, je contourne l’obstacle pour rejoindre John.
— Qu’avez vous fait ? Hurle Frihet à John, effarée.
Je me glisse entre les deux pour ramener Frihet à la raison.
— Lâche-le Frihet ! Il faut partir !


Mon monde s’effondre. Et je ne bouge pas. Ma maison tombe en ruine et je ne peux rien y faire. Je distingue le plafond se plier et je sens chaque mur se disloquer. Rien ne résiste à cette vibration venue du sol, mes muscles sont paralysés alors que tout est en mouvement.


Je la pousse avec ma tête pour qu’elle se mette en mouvement mais rien n’y fait, elle est clouée au sol. Alors que le mur au dessus de nous penche dangereusement.
Elle bouge enfin. Je retrouve John du regard, il est déjà près de la sortie.


Tout est si flou. Je ne me souviens que de formes abstraites s’étalant le long de mon champ de vision. Mes muscles sont tendus, comme si je venais de faire un effort incroyable, mais aucun souvenir. Rien, juste un monde en deux couleurs, bleu et blanc, un ensemble brouillon de métal et la silhouette de deux chats se découpant dans l’horizon.


Il fallait que cette catastrophe arrive en pleine nuit. Nous voilà déjà dehors alors que le froid revient. Est ce que c’est ma faute si on en est là maintenant ? J’espère que non, ça aurait pu mal finir. Ce ne doit pas être simple pour Frihet. Se faire sortir de la boite, c’est jamais agréable.


— Je vois que tu es réveillée.
Je tournais autour d’elle depuis un petit moment et même si je ne tournais plus, je gardais un œil sur elle.
— Nous nous en sommes sortis, c’était moins une. Je suis terriblement désolé pour ton Temple bleu.
Je ne peux pas compter sur John pour ce genre d’attention, il est mal à l’aise. Alors comme c’est important, je m’en occupe. Et maintenant, Frihet elle fait partie de la bande, je crois.
— C’est donc bien mon temple que je vois écroulé devant mes yeux.
— Oui... Mais nous nous sommes rencontrés, tu n’as qu’à nous suivre !
— Et bah voyons ! Vous avez fait tomber ma maison pour me forcer à vous accompagner !
— Non Frihet, nous n’avons pas ce pouvoir...
John sort d’un buisson proche et s’avance vers nous l’air concerné.
— Nous devrions partir, le coin est en effervescence après les secousses. Frihet, tu es avec nous ?


Quel choix ai-je ? Cette bande de chats fous m’ont eue.
— Je n’ai pas d’autre choix. Sache que...
Le sol tremble de nouveau. Cette fois c’est instantané, le choc est lourd. Poire vacille sur ses pattes et tombe maladroitement. Un son incroyable sors du sol et envahit l’espace.
Comme étouffée, la voix de John ressort au loin :
— Partons tout de suite !
Poire m’incite à les suivre alors que John prend déjà un pas de course, au revoir chez moi.


Quelle horreur ! Impossible de courir ! Mais petit à petit le bruit assourdissant s’estompe. Le sol ne tremble plus, mais un son persiste. J’entend comme des couinements, sortir de l’obscurité. L’ombre semble vivante.


Dans un bruit de craquement, une vague noire surgit à la lumière de la lune. Le son de cisaille que je percevais légèrement tout à l’heure s’amplifie de plus en plus. Des rats. Cette mélasse, c’est des rats. Et nous sommes sur leur chemin.
— Prenez de la hauteur ! Vite !


Cette fois sans aucune hésitation je suis les ordres de John. Frihet, elle, avait déjà eu le réflexe, même peut-être avant John. Je déteste les rats. Depuis Gros Bouchon je ne peux plus les voir.


— D’où viennent tous ces rats ?
— Aucune idée, le tremblement les a peut-etre fait sortir de leur nid. Mais ils ont l’air de suivre une direction en particulier !
— Et si nous les suivions par les hauteurs ? Il y aura peut-être à manger là où ils vont.
— Bonne idée !
Bonne idée, bonne idée, je suis pas vraiment d’accord. Il y en a beaucoup quand même. Mais ils partent déjà. Je vais devoir m’imposer si je ne veut pas me retrouver “suiveuse”. Enfin, l’idée de ne pas avancer seule dans ce monde inconnu me réconforte. J’ai tout perdu mais je les ai trouvé.